ESSAI 1 - Les sources ecrites de la composition du costume masculin - Part 1

D'un point de vue presque caricatural, le bas moyen age ne voit évoluer que légèrement le costume masculin, et encore moins le costume féminin avant la toute fin du XIVe.

Ainsi, ce texte, issue de la revue " Moyen-Age " parue aux éditions De Boeck Université m'a semblé très a propos pour illustrer l'origine de notre costume de cette fin de XIVe siècle, départ d'une mode qui me semble évoluer avec beaucoup plus de rapidité a partir de se moment.

Bonne lecture...

 

 

À PROPOS DE COSTUMES...

Paule Le Rider Université de Paris X-Nanterre

 

DE GIRAUD DE BARRI AU CONTE DU GRAAL ET A FERGUS

 

 

Dans l'étude du Conte du Graal que j'avais fait paraître en 1977 [1], je proposais un rapprochement entre deux descriptions de costumes, celle que donne Chrétien de Troyes du costume gallois de Perceval [2] et celle qui se trouve dans le passage de la Topographia Hibernica de Giraud de Barri [3], où sont rassemblés des détails précis sur les mœurs des Irlandais. La ressemblance entre le texte latin et le roman avait paru intéressante et plusieurs questions m'ont été posées concernant les dates respectives de ces descriptions, leur éventuelle filiation et l'enjeu de chacune d'elles.

J'ai repris récemment l'étude de ces questions et j'apporte quelques compléments à mes premières observations. L'examen du texte de Giraud de Barri est maintenant beaucoup facilité puisqu'on dispose de la traduction et du précieux commentaire de J.M. Boivin [4].

Cette nouvelle confrontation des passages comparables dans les œuvres latine et française m'a amenée à modifier, pour ce qui concerne le Conte du Graal, certaines de mes interprétations antérieures.

Enfin, il m'a paru intéressant de rapprocher des deux textes du XIIe siècle le début du roman de Fergus, daté approximativement du milieu du XIIIe siècle, dans lequel Guillaume Le Clerc revêt son héros de costumes comparables à ceux de Perceval.

Les descriptions du XIIe siècle pourraient de prime abord apparaître comme de simples notations de détail destinées à l'ornement de l'écriture. C'est leur caractère exceptionnel qui fait pressentir un autre intérêt. À cette époque en effet, de l'avis unanime des spécialistes, les indications précises sur le costume des Irlandais et des Gallois sont extrêmement rares. Celles qui apparaissent ne concernent que des détails isolés, mentionnés au cours d'un récit dans telle vie de saint ou cités dans le texte de telle loi ancienne. Il faut donc souligner que nos deux ensembles descriptifs, à la fois précis et complets, constituent en leur temps, chacun dans sa langue, des pièces uniques. Il importera d'autant plus d'examiner leur fonction dans les œuvres qui les contiennent.

Voici, dans la traduction de J.M. Boivin [5], les vêtements et les usages des Irlandais tels qu'ils sont décrits par Giraud de Barri :

" Ils utilisent avec parcimonie les tissus de laine, qui sont presque tous noirs - parce que les brebis du pays sont noires - et assemblés de façon barbare. Ils portent habituellement de petits chaperons serrés autour de la tête, qui couvrent leurs épaules et descendent jusqu'au coude et qui sont généralement faits de divers morceaux d'étoffe cousus entre eux ; sous les chaperons, ils ont de courtes capes en guise de manteaux. Ils portent aussi des braies de laine formant chausses ou, si l'on veut, des chausses formant braies, généralement teintes de couleurs.

Ils montent à cheval sans selle ni étriers ni éperons. Ils excitent leurs chevaux et leur font prendre le galop avec une simple baguette, recourbée à son extrémité [...].

Ils n'utilisent que trois types d'armes, de courtes lances, des javelots qu'ils lancent [6] par deux et de grandes haches de fer ".

Giraud est un auteur qui sait observer et toutes les précisions qu'il donne paraissent exactes. Les Irlandais qu'il présente sont vêtus de tissus de fabrication locale. Le drap " noir ", ou plutôt brun foncé, est une sorte de bure. Pour d'autres usages, le drap fait de laines blanches est teint de diverses couleurs. Ces populations sont pauvres : elles utilisent " avec parcimonie " même les tissus qu'elles produisent.

Les détails vestimentaires donnés par Giraud sont vérifiés par les descriptions qu'apporteront plus tard les récits des voyageurs. Car ce costume irlandais est resté inchangé pendant des siècles. Voici par exemple deux indications relevées en 1644 par un gentilhomme angevin, M. de La Boullaye Le Gouz, voyageant en Irlande. Ce dernier a remarqué les longues braies, ici en laine naturelle blanche : " Their breeches are a pantaloon of white frize which they call trousers ". Il a observé le chaperon, qui enveloppe étroitement le visage jusqu'à cacher le haut du front : " A little bonnet raised two finger breadth in front and behind covering their head and ears " [7]. Mais M. de La Boullaye Le Gouz précise que ce costume est porté dans une seule partie de l'île, par " the Irish whom the English call savages ". Il avait signalé auparavant [8] que les Irlandais des côtes est et sud " follow the customs of the English ".

Giraud de Barri prétend décrire le costume d'un peuple, sans distinctions de régions ni de couches sociales. En cela il fausse la réalité car, les études de McClintock nous en convainquent [9], on trouvait en Irlande au XIIe siècle plusieurs types de costumes, correspondant à des modes de vie différents, à des cultures différentes. En fixant le type de l'Irlandais dans un costume de campagnard, d'homme de la vie pastorale et de la forêt, Giraud sait qu'il dessine une image de barbare. Il ne cache d'ailleurs pas son intention, et l'exprime dans le jugement qui sert de préambule à sa description : " Mais s'ils sont comblés des dons de la nature, l'état barbare tant de leur barbe et de leur vêtement que de leur esprit fait d'eux un peuple complètement inculte " [10]. Le clerc érudit qu'était Giraud, imprégné de culture latine, savait que les Romains ont fait de ceux qu'ils appelaient les Barbares un portrait quasi stéréotypé [11]. Scythes ou Gaulois, ils étaient tous porteurs de braies, se couvraient la tête d'étranges coiffures, se servaient surtout d'armes de jet, avaient leur manière propre de chevaucher. La représentation du costume irlandais dans la Topographia, bien que par sa précision elle atteigne à un certain réalisme, rejoint consciemment ce stéréotype du barbare.

J.M. Boivin, qui a trouvé mainte allusion à la " barbarie " des Irlandais dans une œuvre de Bernard de Clairvaux, la Vie de saint Malachie, pense que le mythe de l'Irlandais barbare " est apparu dans l'Europe en pleine expansion de la fin du XIe siècle et du début du XIIe siècle " [12]. Je voudrais modifier son point de vue. Le mythe de l'Irlandais barbare n'est pas " apparu " au XIIe siècle. Il a été réactivé à cette date par les clercs, mais il se trouvait chez les géographes de l'Antiquité et était formulé dans les classements officiels du Bas Empire. Les géographes grecs de l'Antiquité plaçaient l'Irlande aux bornes du monde et lui prêtaient le caractère inquiétant des confins. Sur la carte d'Ératosthène [13], l'île est située à la limite septentrionale de la terre habitée, au bord de la Mer Gelée (Mare concretum). Selon Strabon, il y faisait trop froid pour que la vie y fût normale : " Ses habitants, complètement sauvages, mènent la vie la plus misérable à cause du froid " [14]. On trouve dans un autre passage de Strabon une indication complémentaire : " Ils sont anthropophages en même temps qu'herbivores " [15]. Au IVe siècle après J.-C., les Scoti (Irlandais) ouvraient la liste des Gentes barbarae quae pullulaverunt sub imperatoribus [16].

Il est vrai que les clercs du XIIe siècle ne lisaient pas Strabon et ne consultaient pas les registres du Bas Empire. Mais ils connaissaient l'Adversus Jovinianum de saint Jérôme dont un passage donne sur l'anthropophagie des Irlandais des précisions qui ne laissent pas de surprendre [17]. Et ils connaissaient bien Solin qui, dans ses Collectanea rerum memorabilium (IIIe siècle après J.-C.) [18], a transmis les connaissances et les préjugés des géographes antérieurs à lui.

Giraud de Barri était familier de Solin. Il le cite, et, à l'occasion, le discute. Plus souvent, sans le citer, il intègre à son propre texte des points de vue qui viennent de lui. Solin écrivait par exemple : " Le monde se terminerait aux côtes de Gaule si [...] l'île de Bretagne ne méritait presque d'être nommée un autre monde (nomen paene orbis alterius mereretur) [19]. Giraud applique à l'Irlande ce point de vue, et le cheminement de sa pensée à partir des termes de Solin se perçoit aisément : " C'est assurément parce que dans ces régions extrêmes ils sont tellement à l'écart du monde, comme un autre monde, et si éloignés des peuples honnêtes et policés qu'ils ne connaissent et ne pratiquent que la barbarie " [20]. Le " peuple inhospitalier " de Giraud [21] reprend la gens inhospita de Solin. La " nation cruelle et assoiffée de sang " de Giraud [22] conclut probablement le passage dans lequel Solin montre les guerriers vainqueurs buvant le sang de leurs ennemis et s'en couvrant le visage. Enfin l'affirmation de Solin : " Ils ne font pas la distinction du bien et du mal ", Fas ac nefas eodem loco ducunt, était de nature à fonder l'assertion de Giraud : " Ce peuple est le plus immonde, le plus enfoncé dans le vice " [23].

Le préjugé culturel qui oriente les descriptions de Giraud a donc des racines lointaines. Il a gardé sa force à travers les siècles du fait que l'Irlande, qui n'a jamais été occupée par les Romains, conservait ses particularités. Il est très vivant aux XIe-XIIe siècles parce qu'il justifie des entreprises qui se présentent comme civilisatrices, le projet de conquête de l'Irlande, que réalise le roi Henri II, et la volonté, exprimée dès 1155 par le pape Adrien IV [24], de réformer, on pourrait dire de romaniser, l'Église d'Irlande.

* * *

La description du costume de Perceval tient lieu, dans le roman, de portrait du héros. À l'aspect physique de l'adolescent Chrétien ne consacre que deux vers, qui suffisent d'ailleurs à faire percevoir sa jeunesse et sa fougue :

Cler et riant furent li oel

an la teste au vaslet salvaige (v. 974-975).

Mais sur son statut de garçon des bois, c'est le costume qui nous informe. La robe sote (v. 1483) indique qu'il est ridicule parce que déplacé dans le monde courtois ; elle explique son langage et son comportement de naïf, annonce des bévues qui feront sourire.

On peut mesurer cette importance du costume quand on observe par comparaison, dans le film d'É. Rohmer, Perceval le Gallois, la présentation du héros. Dans ce film, Perceval entre en scène vêtu d'une cotte longue de gentilhomme. De ce fait, pour le spectateur, sa naïveté, que les circonstances n'expliquent plus, change de nature. Elle n'est plus la caractéristique d'un jeune campagnard mal dégrossi, elle apparaît comme un trait fondamental et permanent. En privant Perceval de ses vêtements gallois et, par suite, de l'abandon de ces vêtements, Rohmer a dessiné un personnage énigmatique dont on perçoit mal l'évolution.

La description du costume de Perceval a donc dans le Conte du Graal une fonction narrative essentielle. De plus, en donnant au personnage une sorte d'exotisme celtique accordé à la manière de Bretagne, Chrétien le rend acceptable pour le roman courtois. Le silvaticus, le rusticus, qui n'aurait pas sa place dans la littérature courtoise, y entre en tant que gallois.

Mais, si bien venues que soient dans l'œuvre ces descriptions initiales, elles étonnent par leur caractère en quelque sorte ethnographique. Tant par les détails qui sont énumérés que par le ton général de la description, le costume de Perceval, observé par Chrétien au moment où l'adolescent quitte la gaste forêt, diffère à peine du costume irlandais décrit par Giraud.

La mere, tant com il li loist,

le retient et si le sejorne,

si li aparoille et atorne

de chenevaz grosse chemise

et braies feites a la guise

de Gales, ou l'on fet ansanble

braies et chauces, ce me sanble ;

et si ot cote et chaperon

de cuir de cerf clos anviron (v. 494-502).

A la meniere et a la guise

de Galois fu aparelliez;

uns revelins avoit chauciez,

et par tot la ou il aloit

III javeloz porter soloit (v. 600-604).

Einz mes estrié veü n'avoit

ne d'esperon rien ne savoit,

fors de cinglant ou de roorte (v. 1183-1185).

Mêmes longues braies, même type de chaperon (capuchon) serré autour du visage, " clos environ ", même manière de monter à cheval, même usage du javelot. Quelques différences doivent toutefois être notées. D'une part, Chrétien ne mentionne ni cape, ni manteau, d'autre part les matières employées pour la fabrication du costume ne sont pas les mêmes. Perceval porte une chemise, ce qui introduit une manière de raffinement, raffinement de pauvre, il est vrai, puisque la chemise est faite de chanvre grossier. Pour la cotte et le chaperon, c'est du cuir de cerf que la mère a taillé et cousu. Le cuir de cerf n'entre pas, contrairement à ce qui a été parfois écrit, dans la catégorie des peaux de bêtes qui vêtent traditionnellement le sauvage. C'est une matière travaillée, qui a sa place dans les textes nobles, sous la forme de liens de heaume, de bourses, ou de suaires pour les chevaliers morts. Dans le cas de Perceval, le cuir de cerf s'accorde avec l'activité de chasseur que Chrétien a prêtée à son héros. C'est par ces références à la chasse - la chasse à cheval - que Perceval, dès son entrée en scène, est retiré de l'ordre des vilains dans lequel les braies et les chaussures grossières pourraient inciter à le ranger. Il n'est pas surprenant que tous ces vêtements confectionnés à la maison soient maladroitement coupés et assemblés, comme la cotte de Perceval mal fete et mal taillee (v. 1424-1425) [25].

Giraud, dans sa description, n'avait pas mentionné de chaussures. Chrétien chausse Perceval de revelins. Ce terme est intraduisible. Aucun des équivalents habituels, brodequins, chaussures en cuir non préparé, n'est tout à fait satisfaisant. C'est que Chrétien a fait entrer dans la langue littéraire un terme spécifique qui tenait lieu de description. Il a utilisé un équivalent phonétique de l'anglo-saxon " rifeling " [26], qui devait être compris de son public et donc faire partie des mots de la langue parlée, mais qui n'est attesté en dehors du Conte du Graal que dans deux œuvres qui s'inspirent de Chrétien, le Parzifal de Wolfram d'Eschenbach et le Fergus de Guillaume Le Clerc.

Ce type de chaussures a été porté au Moyen Âge en Irlande et en Écosse et se rencontre encore de nos jours dans les îles Orkney et Shetland [27]. Dans l'Irlande du Moyen Âge il était désigné par des termes signifiant chaussures, sans distinction particulière, le gaélique cuarans ou " l'hiberno-anglais " brogues [28]. C'est dans le récit d'un voyage en Écosse, daté de ca 1730, que j'ai trouvé la description la plus détaillée des revelins: " Some I have seen shod with a kind of pumps made out of a raw cow-hide with the hair turned outward, which being ill-made the wearer's feet looked something like those of a rough-footed hen or pigeon. These are called quarrants [cuarans] and are not only offensive to the sight, but intolerable to the smell of those who are near them " [29]. L'extérieur velu des " revelins " devait leur donner une apparence animale. On s'explique de ce fait que dans la Vie de saint Ciaran un renard ait volé et commencé à dévorer les chaussures du saint [30]. On comprend de même le sens de la plaisanterie rapportée par M. de La Boullaye Le Gouz : " They (les Irlandais) often told me of a proverb in English : " Airische brogues for English dogues " [31].

S'ajoutant à la ressemblance indéniable que l'on relève entre le costume irlandais tel que le décrit Giraud et le costume de Perceval, la mention de ces chaussures bien particulières, qui furent portées en Irlande depuis le Moyen Âge jusqu'au XVIIIe siècle, pourrait nous amener à conclure comme Cl. Luttrell : " Chrétien thus attributed to the Welsh a garment that is actually gaelic " [32].

Mais une telle affirmation, à laquelle il serait tentant de souscrire, soulève des objections importantes. Chrétien a dit trop clairement que son héros était vêtu "à la mode galloise ", qu'il portait des braies " comme on les fait en Galles ", que ses trois javelots lui donnaient " l'air gallois ". Le pays de Galles n'était pas pour le public de Chrétien une terre lointaine. Il y avait des relations commerciales entre Gallois et Flamands. Beaucoup de Gallois avaient passé la mer, à commencer par les conteurs, successeurs du fameux Bréri, ou, plus récemment, les mercenaires, comme ceux qui sont mentionnés dans l'Histoire de Guillaume le Maréchal. Chrétien ne pouvait pas proposer, surtout avec une telle précision, une description manifestement inexacte. Ces remarques incitent à reprendre, pour en scruter le détail, les textes les plus riches d'informations sur les mœurs des Gallois du XIIe siècle, c'est-à-dire l'Itinerarium Kambriae de Giraud de Barri et surtout sa Descriptio Kambriae [33].

Dans la Descriptio Kambriae, le plan adopté par Giraud, à savoir l'énumération des qualités puis des défauts des Gallois, ne se prête pas aux longues descriptions. Mais dans les actions qu'il met en scène pour illustrer son propos, Giraud manifeste son esprit d'observation. Ainsi, parmi les qualités qu'il prête aux Gallois, il insiste sur leur ardeur au combat, leur agilité, leur excellence dans la tactique de la guérilla. De ce type d'attaque il donne un exemple rapide mais plein de vie. On entend la ruée à l'assaut, orchestrée par les hurlements et par le son des longues trompettes. On voit la pluie serrée des coups de javelots :

crebris quoque jaculorum ictibus [34].

Ces Gallois se servent donc de javelots ? Dans l'Itinerarium, Giraud ne mentionne que l'arc (utilisé, dit-il, en Galles du sud) et la longue lance (en Galles du nord). L'usage du javelot correspondrait-il à d'autres types de combats ? Du javelot il est question dans un autre passage de la Descriptio. En temps de paix, dit Giraud, les jeunes gens s'enfoncent dans les forêts, franchissent en courant le sommet des montagnes, et, tantôt lançant le javelot, tantôt tirant à l'arc, s'appliquent à des exercices qui les préparent aux combats :

Nunc lanceando, nunc sagittando bella praeludunt [35].

Il s'agit ici de scènes de chasse (de ce fait le sens de lanceare, manier la longue lance de chevalier, est exclu). À cette époque la chasse est partout considérée comme une préparation à la guerre. Pour l'utilisation du javelot en terre de Galles, on peut rapprocher de ces textes les allusions qui sont faites dans l'Historia regum Britanniae [36] ou dans le roman de Tristan [37] au goût des Bretons pour les exercices de lancer.

En ce qui concerne la manière de monter à cheval, Giraud précise que les Gallois utilisaient peu l'étrier :

ocreisque ferreis rarius [utuntur] [38].

Leur maniement du cheval ne ressemblait guère à celui des chevaliers, si l'on en croit le passage de la Descriptio où les Gallois sont montrés sautant de leur monture quand la configuration du terrain ou les besoins de la fuite l'exigent :

Equites [...] facile pedites fiunt [39].

Sur la tenue vestimentaire de ces mêmes Gallois (présentés au combat), Giraud donne une seule indication, qui a pour nous de l'intérêt : quand ils ne sont pas pieds nus, ils portent ce type de chaussures que Chrétien a appelées " revelins ", " des bottes velues à la mode barbare, faites de pièces de cuir non tanné cousues ensemble ":

corio crudo consutis barbaris pro calceamento peronibus [40] utuntur [41].

Parmi ces guerriers gallois, on ne peut pas, dans la Descriptio, distinguer des couches sociales car Giraud a précisé que, pour le type de guerre qu'il décrit, nobles et vilains étaient confondus. Le paysan, dit-il, quitte sa charrue aussi promptement que le noble sa cour pour se ruer aux armes :

non segnius ab aratro ruricola quam aulicus ab aula [...] [42].

En dehors de ces passages qui traitent de combats, l'unique esquisse de costume donnée par Giraud se trouve dans l'Itinerarium [43]. Giraud et ses compagnons rencontrent un très jeune homme, fils d'un prince de Galles du sud. L'adolescent marche pieds nus. Il est vêtu seulement d'une chemise (interula) et d'un manteau léger (pallio tenui). De braies il n'est nulle part fait mention.

Pourtant il est probable que les longues braies étaient portées au XIIe siècle au pays de Galles. On sait en effet combien les traditions étaient alors durables dans le domaine du vêtement. Or les auteurs latins nous renseignent sur le costume des habitants de la (Grande) Bretagne au moment de la conquête romaine. César avait noté que dans le Kent " les mœurs ne diffèrent guère de celles des Gaulois " [44]. Martial, dans une de ses Épigrammes, cite pour leur laideur " les braies usées d'un Breton misérable " [45]. Et Tacite, pour montrer la réussite d'Agricola dans la romanisation de la (Grande) Bretagne, indique que bon nombre de Bretons se mirent à parler latin et à porter la toge [46]. On trouve là le topos du troc des braies contre la toge qu'utilise, entre autres, Suétone à propos des Gaulois [47].

Le roman de Tristan nous fournit un exemple à peu près contemporain de Chrétien. On donne couramment le sens de pantalon aux " braies " que porte Tristan dans l'épisode de la hutte [48].

On arrive à une conclusion simple : chacun des vêtements de Perceval le Gallois peut être dit gallois. Et le fait que les descriptions de Giraud et celles de Chrétien sont si proches indique qu'au XIIe siècle des Gaels et des Bretons pouvaient porter le même costume.

Mais le rapport à la réalité des détails qui la composent n'est pas pour la description médiévale un critère suffisant. Comme l'a fait observer E. Faral, " dans toute la littérature du Moyen Âge, la description ne vise que très rarement à peindre objectivement les personnes et les choses. [Elle est] toujours dominée par une intention affective [...] " [49]. Nous avons pu observer que Giraud de Barri, avec des détails précis et très probablement exacts, a campé un type chargé de signification péjorative, le barbare irlandais. Ce type restera stable dans les écrits et dans certaines représentations iconographiques pendant plusieurs siècles [50].

Chrétien, on ne peut pas le nier, a rejoint ce même type dans sa description du costume de Perceval. Et, à réexaminer certains détails de cette description, on peut se demander s'il l'a fait sans intention. Pourquoi chausser son jeune héros de " revelins ", chaussures occasionnellement galloises mais connues comme irlandaises ? Ce détail étonne d'autant plus que tous ceux qui ont parlé de ces chaussures ont mentionné leur aspect repoussant : elles avaient leur place dans un portrait de la laideur, mais pourquoi dans le portrait de Perceval ? Pourquoi insister sur les braies en les décrivant presque comme un objet de curiosité? Le public de Chrétien les connaissait bien, puisqu'elles étaient en France le vêtement habituel des paysans [51]. Pourquoi préciser le nombre de javelots - toujours trois - que Chrétien prête comme un emblème à Perceval ? On songe aux fameux javelots gaulois, - les gaesa - qui étaient toujours portés par deux, si l'on en croit les auteurs latins, pour lesquels bina était l'épithète obligée de gaesa. Giraud de Barri a retrouvé cette épithète lorsqu'il a pourvu ses Irlandais de jaculis binis. Les trois javelots de Perceval semblent surenchérir sur tant de javelots portés par deux ! Trois javelots auraient donné à Perceval l'air " trop gallois ", pense la mère, qui le persuade d'en abandonner deux. À quoi tend ce jeu de scène ? À préparer le lecteur au meurtre du Chevalier vermeil ? Ou, plus simplement, à attirer l'attention sur cette arme, toujours considérée comme vile par les auteurs français, et que Wace classe, aux côtés des haches et des jusarmes, parmi les armes des barbares qui ne combattront jamais à cheval [52] ? On a le sentiment que Chrétien a suivi un modèle littéraire et qu'en accusant dans sa description les traits caractéristiques de ce modèle il a veillé à le rendre reconnaissable. Avec cette présentation quasi ethnographique de son héros, il nous aurait donné une sorte de pastiche.

À ce point de la réflexion, une question se pose : Chrétien aurait-il connu la Topographia Hibernica? Les dates ne sont pas favorables à cette hypothèse. Il est vrai que Giraud travaillait à son œuvre depuis 1184, date de son premier séjour en Irlande, et que dans les années qui suivirent il en avait fait lire dans son entourage les premières rédactions. Mais ce n'est qu'à partir de la lecture publique organisée par son auteur que la Topographia a été largement diffusée. Cette lecture publique eut lieu " entre le 23 avril 1188 et le 6 juillet 1189 " [53]. Chrétien, à cette date, avait certainement bien avancé la rédaction du Conte du Graal.

Mais la notion de barbarie sert si souvent d'argument dans les textes latins du XIIe siècle [54] que Chrétien, qui avait lui aussi une culture de clerc, ne pouvait ignorer ni les jugements sévères auxquels elle conduisait, ni les actions politiques qu'elle prétendait justifier, ni les images simples par lesquelles on la traduisait. Pour nous en tenir à un exemple littéraire qui devait lui être familier, Geoffroy de Monmouth désigne sous le vocable de barbares les Scots et les Pictes qu'Arthur s'apprête à vaincre [55].

En utilisant pour caractériser Perceval le Gallois le mode de présentation que les clercs - en particulier les clercs gallois proches du roi d'Angleterre - réservaient le plus souvent aux Irlandais, Chrétien se donne les moyens de démythifier le barbare. Vu de près, Perceval, sous son étrange costume, est un adolescent naïf qui ne set mie totes les lois (v. 236) mais les apprendra peu à peu. Ainsi individualisé, sympathique et comique à la fois, le personnage peut être qualifié de nice, de salvaige, de fol, non de barbare. D'ailleurs ce mot n'existe pas dans la langue romane du XIIe siècle. Si Chrétien a pastiché un modèle littéraire, ce modèle lui venait de sa culture latine.

La robe sote de Perceval ne provoque jamais ni le rire ni la gêne dans l'espace du roman. Lorsqu'on lit le Parzival de Wolfram d'Eschenbach on perçoit très différemment la présence dans le texte du costume du héros. Je ne citerai qu'une scène, celle de la tente. La dame de la tente, Jeschute, répond à son mari jaloux qui la soupçonne d'avoir pris pour ami Parzival : " À Dieu ne plaise !... J'ai trop bien vu à ses chaussures et à son javelot quel homme c'était [...] il siérait mal à une princesse d'accepter pareil amour ! " [56]. Ces chaussures et ce javelot, particulièrement " irlandais ", il faut le dire, Chrétien les a dans une certaine mesure valorisés. Avec le javelot, Perceval a débarrassé le roi Arthur d'un ennemi redoutable. Quant aux " revelins ", Chrétien les a utilisés d'une manière tellement préméditée qu'il importe d'examiner le passage. Lorsque Perceval se revêt de l'armure du Chevalier vermeil dans ce qui est une scène caricaturale d'adoubement, mais un adoubement tout de même, il refuse de retirer ses vêtements gallois. Les braies, la cotte, le chaperon vont disparaître sous l'armure. Il n'en est pas de même pour les chaussures :

Yonez les chauces li lace

Et sor les revelins li chauce

Les esperons desor la chauce (v. 1176-1178) [57].

Les chausses de fer, à la fin du XIIe siècle, sont des sortes de bas en mailles de fer qui, on s'en assure aisément en observant les représentations d'armures, en particulier sur les sceaux, tiennent lieu de chaussures. C'est sur la chausse de fer qu'on enfilait l'armature qui porte l'éperon. En intercalant la chaussure grotesque entre les deux pièces nobles, Chrétien chausse de bottes son chevalier ! En matière de costume, la superposition, surtout quand elle rapproche des objets aussi disparates, est un déguisement. Ce déguisement-là, qui dénature l'armure vermeille et visualise l'obstination du nigaud, devrait provoquer le rire. Il amuse probablement l'auditoire, mais dans le roman, il n'est ni remarqué par ceux qui rencontrent Perceval, ni commenté par l'auteur. Gornemant lui-même, qui regarde approcher sur son pont-levis le curieux chevalier en armure vermeille, comprend tout de suite à sa manière de parler qu'il a affaire à un sot mais semble ne rien observer de particulier dans sa tenue. Une telle discrétion montre peut-être que la recherche de l'effet comique n'était pas la première intention de Chrétien. Je le soupçonne de s'être plu à chausser les éperons - qui, avec l'épée, font, à cette date, le chevalier - sur les misérables " revelins ".

Une relecture de la première partie du roman permet, me semble-t-il, de rattacher ces observations à un réseau narratif subtilement glissé dans le récit. Tout d'abord, la famille de Perceval n'est pas galloise. La terre de Galles a été pour les parents du jeune homme un lieu d'exil et de refuge. Il est difficile d'interpréter les indications, fort imprécises, que donne Chrétien sur leur pays d'origine. " Ton père ", dit à son fils la mère de Perceval, était le meilleur chevalier " des îles de la mer ":

N'ot chevalier de si haut pris,

tant redoté ne tant cremu,

biax filz, com vostre peres fu

an totes les Isles de mer (v. 414-417).

Elle ajoute que sa propre famille n'avait pas d'égale en noblesse " dans les îles de la mer ", désignant comme une contree ce territoire mal défini :

[...] que je fui de chevaliers nee

des mellors de ceste contree.

Es Isles de mer n'ot linage

meillor del mien an mon aage (v. 421-424).

Cl. Luttrell, dans sa mise au point sur cette question de géographie arthurienne [58], incite à la prudence. Il observe que, dans les trois cas où les "îles de la mer " sont mentionnées comme un territoire dans le Conte du Graal (v. 417, 423, 4073), elles entrent dans une tournure superlative. Cet emploi conduirait à leur chercher une valeur plus rhétorique que géographique. D'autre part, l'expression " îles de la mer ", depuis les anciens textes gallois jusqu'aux continuations des romans de Chrétien, se réfère à des ensembles géographiques très variables. Elle peut désigner simplement ce qu'on appelle de nos jours " les Îles britanniques ". Sur les identifications qu'a suggérées l'expression de Chrétien - les Hébrides, l'île de Man - Cl. Luttrell est très réticent, mais il n'en propose pas d'autre.

Comment éviter néanmoins d'essayer une fois encore de dissiper le vague dans lequel nous laisse le texte de Chrétien ? On obtient peut-être quelques indications en interprétant sa géographie poétique à la lumière des faits pseudo-historiques qu'il mentionne. Les malheurs qui ont chassé de leurs terres les parents de Perceval sont survenus, écrit-il, " après la mort du roi Uterpandragon " (v. 440-444). Il est tout à fait probable qu'il situe ces faits par rapport à la chronologie du règne arthurien donnée par Geoffroy de Monmouth et Wace. Il s'agirait donc de la période qui suit le premier couronnement d'Arthur. Arthur, devenu roi, commence par réduire les Saxons et leurs alliés les Écossais. Une fois son royaume débarrassé de cette source de troubles, il entreprend de placer les îles sous son pouvoir. Il conquiert militairement l'Irlande, puis l'Islande, et reçoit la soumission spontanée du roi du Gothland et de celui des Orcades. On doute que Chrétien dans le Conte du Graal ait songé à la lointaine Islande. Il paraît naturel, en revanche, de supposer qu'il a situé l'action du début de son roman pendant la conquête de l'Irlande par Arthur. S'il en était ainsi, les malheurs de la famille de Perceval s'expliqueraient très simplement comme les conséquences de l'action guerrière d'un envahisseur. Le roi Arthur, qui n'est peut-être dit " bon " (v. 444) que par antiphrase, serait dans ce cas le responsable du déclin de la famille du héros [59]. La situation de Perceval se présenterait dans le roman comme une réplique de celle d'Aiol dans la chanson de geste.

Si Chrétien a cherché pour le Conte du Graal des jalons pseudo-historiques dans l'œuvre de Geoffroy de Monmouth, il ne serait pas surprenant qu'il lui ait emprunté aussi l'entité que forment pour lui " les îles de la mer ", insulae oceani. Car Geoffroy énumère à diverses occasions les six îles qu'il qualifie de collaterales, avoisinantes, ou de comprovinciales, faisant partie du royaume. Ce sont, toujours dans le même ordre, l'Irlande, l'Islande, le Gothland, les Orcades, la Norvège et la Dacie [60].

Parmi les formules qui consacrent Perceval comme bon chevalier il en est une qui mérite l'examen. Gauvain n'était pas à la cour d'Arthur lorsque le jeune sauvage y a fait son entrée remarquée. Il ne peut avoir une idée sur lui que par la description que lui en auraient faite ses compagnons. Or, lorsque, plus tard, il voit arriver l'Orgueilleux de la lande, qui se déclare vaincu par ce chevalier que nul n'identifie, il s'exclame :

An totes les Isles de mer

n'ai oï chevalier nomer,

ne nel vi ne ne le conui,

qui se poïst prandre a cestui

d'armes ne de chevalerie (v. 4073-4077).

Il est vrai que la formule a ici sa pleine valeur rhétorique. Il est vrai aussi que Perceval portait son costume si proche du costume irlandais, le jour où il avait fait irruption devant le roi.

Ce jour-là, la guerre pour " les îles " était présente à la cour et y causait à la fois joie et peine. On se réjouissait de la victoire sur le roi Ryon" des îles " (v. 848-850) [61]. Mais les chevaliers avaient souffert de la guerre : il y avait des blessés parmi eux (v. 950-953). Faut-il rapprocher de cette situation de guerre le fait qu'un chevalier nuisible qui sévit en terre de Galles, Clamadeu, soit venu " des îles " comme l'indique son surnom ?

Si l'on plaçait en Irlande l'origine de la famille de Perceval, on ne serait pas surpris que cette famille ait disposé d'un manoir au cœur des forêts galloises. Les traditions celtiques en effet conservaient le souvenir - qui correspond d'ailleurs à la réalité historique - que, dans des temps très lointains, des Irlandais avaient des possessions au pays de Galles. Ce souvenir était bien vivant à la fin du IXe siècle, comme l'atteste le Glossaire de Cormac: " The gael dwelt on the east of the sea no less than in Scotia, and their residences and royal forts were built there [...] and they possessed that power long after the coming of Patrick " [62].

La conquête légendaire de l'Irlande par Arthur évoquait au XIIe siècle, pour tous ceux qui touchaient, en clercs ou en conteurs, à la " matière de Bretagne ", la conquête de l'île par Henri II, qui faisait partie des faits contemporains. Giraud de Barri n'hésitait pas à faire le rapprochement, allant jusqu'à dire que les droits acquis jadis sur l'île par Arthur comptaient parmi les précédents sur lesquels se fondait le droit des rois de (Grande) Bretagne à dominer l'Irlande [63]. Si l'on accepte l'idée que c'est la guerre d'Arthur en Irlande qui a ruiné la famille de Perceval, on peut supposer que Chrétien, en se plaçant non du côté du conquérant mais du côté des victimes de la conquête, exprimait une pensée personnelle.

Le Conte du Graal, enfin, laisse percevoir sur le rapport de la famille du héros avec l'Irlande un indice qui ne me paraît pas négligeable : c'est la parenté architecturale entre la grande salle du château du Roi Pêcheur et la salle de banquet des épopées irlandaises. Le foyer central, les quatre colonnes d'airain qui soutiennent le " cheminal ", la couche royale devant le foyer, les hommes en grand nombre placés autour du feu, sont autant de détails caractéristiques. La ressemblance a été souvent soulignée. Je me bornerai à citer la phrase par laquelle R.S. Loomis concluait la discussion sur le sujet lors d'un colloque international : " Je suis d'accord avec M. Nitze pour penser que la salle du Roi Pêcheur, telle qu'elle est décrite par Chrétien, ne correspond pas à l'architecture d'un château français du XIIe siècle, mais plutôt à celle d'une salle royale telle qu'elle est décrite dans les sagas irlandaises " [64].

On ne peut douter que Chrétien ait eu une intention précise en reconstituant un décor aussi particulier. Il ne s'agit pas d'un simple effet de merveilleux, mais plutôt de la recherche d'une sorte de couleur locale. Ce décor insolite situe le Roi Pêcheur dans un passé glorieux, très vraisemblablement irlandais. Or le roi, nous le saurons plus tard, est l'oncle de Perceval, frère de sa mère. Le jeune maladroit se trouve sans le savoir dans la " maison des ancêtres ".

J'ai employé la formule de J. Marx [65]. Mais j'inverserai les conclusions qui, dans l'ouvrage de J. Marx, accompagnent cette formule : le Simple n'a pas reçu son nom des ancêtres dans la maison de l'Autre Monde, parce qu'il n'a pas réussi l'épreuve initiatique. Il sera de ce fait réduit à se nommer lui-même et comme il n'a rien retenu d'un passé familial que sa mère lui avait révélé à la hâte, il se nommera d'après son expérience vécue, Perceval le Gallois. Ses enfances sont alors presque terminées. Il n'y aura plus dans le roman d'allusion à l'Irlande.

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La diversité des observations qu'a entraînées l'étude du costume de Perceval montre à quel point l'écriture du Conte du Graal est dense et subtile. Il y a dans la présentation du jeune héros une part de non-exprimé. C'est qu'en créant son personnage d'ingénu, l'auteur semble bien avoir cherché à conjurer par le pastiche un préjugé culturel très présent à son époque et qui se perçoit en particulier chez Giraud de Barri, la prévention contre le barbare. Chrétien a dû procéder par touches légères : nous ignorons en effet jusqu'où allait de son temps la liberté d'expression d'un auteur en langue vulgaire lorsqu'il frôlait, comme ici, l'actualité politique et religieuse.

Le mode de présentation de Perceval et le rappel qu'il comporte de son passé familial transforment de manière résolument moderne le topos des enfances cachées de héros mythiques. Ils rattachent Perceval à des territoires connus, ils datent les événements, sentis comme historiques, qui l'ont fait vivre en exilé. Ils donnent ainsi au personnage, pour reprendre l'expression de R. Kempf [66], un " corps romanesque ", une " présence " individuelle qui le distinguent de tous les autres chevaliers de Chrétien.

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